Oltramare, P.
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Une religion comme le bouddhisme est un tout infiniment complexe. Quelque place qu'y tiennent les idées théosophiques, soyons sûrs qu'elles ne la constituent pas tout entière. Elles s'y trouvent amalgamées à des éléments de toute provenance. Est-ce en les isolant artificiellement qu'on les étudiera le mieux dans leur nature et dans leur action ? Ce ne serait ni avantageux, ni même possible. Les contacts qu'elles subissent entraînent pour elles des déterminations dont il faut bien tenir compte : tel le cristal transparent qui se colore par le voisinage d'une fleur d'hibiscus. D'autre part, il serait excessif sous prétexte de théosophie, d'embrasser ici le bouddhisme dans toute son étendue. D'excellents ouvrages, aisément accessibles au public, me permettent de limiter ma tâche sans inconvénient.
Ce que je me propose, c'est d'étudier dans quelles conditions, externes et internes, les idées maîtresses du bouddhisme ont agi sur les esprits ; de quelle manière elles se lient les unes aux autres ; quelle influence elles ont exercée sur la conduite des individus et sur la communauté ; comment elles se sont transformées par le travail même de la pensée ; comment elles ont dévié au contact de doctrines hétérogènes ; à quels excès de théorie et de pratique elles ont parfois abouti. Je ne m'occuperai donc du Bouddha et du Sangha que dans la mesure où la personnalité du maître et l'organisation de l'église sont pour quelque chose dans la direction prise par le travail des âmes religieuses. Quant aux doctrines, je laisserai de côté celles qui n'intéressent pas du tout l'élaboration du salut, et passerai rapidement sur celles qui peuvent être considérées comme la simple application des principes essentiels. Si je ne craignais d'exposer mon livre à de redoutables comparaisons, je dirais que j'ai tenté de mettre en lumière !'« esprit » du bouddhisme, un esprit remarquable à la fois par sa continuité et par ses variations.
Malgré les restrictions que je viens d'indiquer, ce programme, je le crains, paraîtra trop ambitieux. Peutêtre même le trouvera-t-on irréalisable dans les conditions actuelles de la science. Que d'incertitudes, en effet, et que de lacunes dans l'histoire de la pensée bouddhique! Pouvons-nous seulement dater avec quelque approximation les écrits dits canoniques ? N'est-il pas puéril de vouloir expliquer les aspects successifs du bouddhisme sans tenir le plus grand compte de facteurs qui ne sont ni théosophiques, ni même hindous ? On a cherché du côté de la gnose et du manichéisme l'origine de quelques-unes des nouveautés par lesquelles se distinguent les écoles du Grand Véhicule. Si l'on a eu raison l'évolution de la doctrine cesse d'être exclusivement autochtone. Comme, d'ailleurs, l'influence des religions sectaires s'est fait sentir très vite, qu'elle s'est accentuée avec le temps, qu'elle a fini par devenir presque prépondérante, on trouvera l'explication des dernières déviations, non pas sans doute hors de l'Inde, mais hors du bouddhisme, et dans des formations religieuses dont nous savons fort mal l'histoire ancienne. Ces écueils,et d'autres encore, je savais qu'ils étaient semés sur ma route, et j'espère n'avoir jamais oublié leur présence pendant que je travaillais à cet ouvrage. Mais je n'ai pas eu non plus la prétention de résoudre tous les problèmes. Je me tiendrai pour satisfait, si j'ai quelque peu contribué à une plus entière connaissance du bouddhisme. (Oltramare, preface, xiii–xv)
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